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per- à vivre, l’Esprit du mal lui donne l’amour, le désir, les trêves perfides, les illusions, les biens apparents pour voiler les maux réels, l’ignorance irrémédiable et jamais résignée, le mensonge atroce de la liberté :

  Oui, que l’homme choisisse et marche en proie au doute,
  Créateur de ses pas et non point de sa route,
  Artisan de son crime et non de son penchant ;
  Coupable, étant mauvais, d’avoir été méchant ;
  Cause inintelligible et vaine, condamnée
  À vouloir pour trahir sa propre destinée,
  Et pour qu’ayant créé son but et ses efforts,
  Ce dieu puisse être indigne et rongé de remords…

L’Esprit du bien, de son côté, voulant créer un monde le plus heureux possible, songe d’abord à ne faire de tout le chaos que deux âmes en deux corps qui s’aimeront et s’embrasseront éternellement. Cela ne le satisfait point : le savoir est meilleur que l’amour. Mais l’absolu savoir ne laisse rien à désirer ; la recherche vaut donc mieux ; et le mérite moral, le dévouement, le sacrifice, sont encore au-dessus… En fin de compte, il donne à l’homme, tout comme avait fait l’Esprit du mal, le désir, l’illusion, la douleur, la liberté. Ainsi le monde nous semble mauvais, et nous ne saurions en concevoir un autre supérieur (encore moins un monde actuellement parfait). Nous ne le voudrions pas, ce monde idéal, sans la vertu et sans l’amour : et comment la vertu et l’amour seraient-ils sans le désir ni l’effort — et l’effort et le désir sans la douleur ? Essayerons-nous, ne pouvant supprimer