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quer quelques-uns des thèmes développés ou plutôt démêlés, dans les Solitudes, par un poète divinement sensible. Et ce sont bien des « solitudes » : c’est toujours, sous des formes choisies, la souffrance de se sentir seul — loin de son passé qu’on traîne pourtant et seul avec ses souvenirs et ses regrets, — loin de ce qu’on rêve et seul avec ses désirs, — loin des autres âmes et seul avec son corps, — loin de la Nature même et du Tout qui nous enveloppe et qui dure et seul avec des amours infinies dans un coeur éphémère et fragile… C’est comme le détail subtil de notre impuissance à jouir, sinon de la science même que nous avons de cette impuissance.

Les Vaines tendresses, ce sont encore des solitudes. Le plus grand poète du monde n’a que deux ou trois airs qu’il répète, et sans qu’on s’en plaigne (plusieurs même n’en ont qu’un) et, encore une fois, toute la poésie lyrique tient dans un petit nombre d’idées et de sentiments originels que varie seule la traduction, plus ou moins complète ou pénétrante. Mais les Vaines tendresses ont, dans l’ensemble, quelque chose de plus inconsolable et de plus désenchanté : ses chères et amères solitudes, le poète ne compte plus du tout en sortir. Le prologue (Aux amis inconnus) est un morceau précieux :

  Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir
  Quelque plaie où le feu désire qu’on l’attise ;
  Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir,
  Tombe comme une larme à la place précise
  Où le cœur méconnu l’attendait pour guérir.