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souvent millionnaire, M. Ohnet ne nous laisse pas ignorer le mépris qu’il a pour l’argent : quelques-uns de ses héros ont à ce sujet des apostrophes bien éloquentes. Il ose marquer de traits flétrissants les usuriers, les banquiers malhonnêtes. De cette manière, la vertu a beau être riche au dénouement, nous sommes sûrs que c’est bien au triomphe de la vertu toute seule que nous applaudissons.

M. Georges Ohnet est bien trop intelligent en effet pour ne pas s’en tenir aux dénouements agréables, aux dénouements optimistes, à ceux qu’exigent ses clients. Ceux-ci ne sauraient supporter une histoire où la vertu ne serait pas enfin récompensée. Sentiment bien naturel. Ils ont leur façon naïve d’entendre l’art ; ils tiennent à ce qu’il soit consolant ; ils veulent des fables où tout aille mieux que dans la réalité. Au contraire, les artistes, surtout dans ces derniers temps, ont un singulier penchant à peindre la vie plus triste qu’elle n’est. C’est que, pour eux, l’intérêt de l’œuvre d’art ne réside point dans le mensonge facile d’un meilleur arrangement des choses ni dans le mariage final de l’amoureux et de l’amoureuse. Ce qui est vraiment intéressant, c’est la vision du monde particulière à l’écrivain, la déformation que subit la réalité en traversant ses yeux. Ils auraient donc grande honte de séduire les foules par un vulgaire et plat embellissement de la vie humaine. Par suite, ils seraient plutôt tentés de l’enlaidir afin de s’assurer qu’ils sont bien des artistes. Si d’aventure ils content