rement ? Point ; mais les brutalités de M. Zola ont ému la curiosité des uns ; la sensibilité et tout « le côté Dickens » de M. Daudet ont attiré les autres. Ajoutez la part de hasard qui entre dans ces grands succès, puis l’habitude et la mode qui les entretiennent et les grandissent. La fortune littéraire de M. Daudet et de M. Zola ne s’explique pas tout à fait par leur talent, dont l’essence échappe au plus grand nombre.
Mais le triomphe de M. Ohnet s’explique entièrement par l’espèce de son mérite. Son œuvre est merveilleusement adaptée aux goûts, à l’éducation, à l’esprit de son public. Il n’y a rien chez lui qui dépasse ses lecteurs, qui les choque ou qui leur échappe. Ses romans sont à leur mesure exacte ; M. Ohnet leur présente leur propre idéal. La coupe banale qu’il tend à leurs lèvres, ils peuvent la boire, la humer jusqu’à la dernière goutte. M. Ohnet a été créé « par un décret nominatif », dirait M. Renan, pour les illettrés qui aspirent à la littérature. S’il n’est pas un grand écrivain, ni même un bon écrivain, ni même un écrivain passable, il est à coup sûr un habile homme. Le rêve poncif qui fleurit dans un coin secret des cervelles bourgeoises (il va sans dire que je parle ici non d’une classe sociale, mais d’une classe d’esprits), personne ne l’a jamais traduit avec plus de sûreté, de maîtrise, ni de tranquille audace.