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tout bonnement un imbécile très compliqué. Mais (et de là notre malaise) l’auteur a tout l’air de nous présenter cet abruti comme un homme très fort dont le raffinement a des mystères qui ne sont accessibles qu’aux hommes forts comme lui. Il a l’air de nous dire à l’oreille : « Savez-vous quel est le plus grand écrivain de la littérature latine ? C’est Rutilius. Le plus grand artiste ? C’est Odilon Redon. Le plus grand poète ? C’est Stéphane Mallarmé. La décadence ! oh ! la décadence !… Et l’artificiel !… oh ! l’artificiel ! C’est le fin du fin ! »

« L’artifice paraissait à des Esseintes la marque distinctive du génie de l’homme.

« Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a définitivement lassé, par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses ciels, l’attentive patience des raffinés. Au fond, quelle platitude de spécialiste confiné dans sa partie ! quelle petitesse de boutiquière, tenant tel article à l’exclusion de tout autre ! quel monotone magasin de prairies et d’arbres ! quelle banale agence de montagnes et de mers ! »

Si ceci n’est pas une agréable plaisanterie, c’est une bonne naïveté, puisque nous ne pouvons rien concevoir qu’avec les données que nous fournit la nature. Nos imaginations les plus folles, c’est à la nature que nous en empruntons les éléments : comment donc serait-elle monotone ?

Enfin, va pour l’« artificiel » ! Mais le mot a plusieurs sens. L’artificiel, c’est le raffinement extrême de