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fois, s’étant procuré un sphinx en marbre noir et une chimère en terre polychrome, il a fait réciter par sa maîtresse le dialogue de la Tentation de saint Antoine entre la chimère et le sphinx. Un jour il a eu la fantaisie de mener dans une maison de joie, très chère, un petit vagabond et lui a payé un abonnement dans la maison, — et cela afin de former un assassin. Un autre jour, pour célébrer un de ces accidents qui regardent Ricord, il a offert à ses amis un souper noir, sur une nappe noire, dans une salle tendue de noir, avec des mets et des vins noirs. — Et il va sans dire qu’il a connu les amours d’Alcibiade.

Donc après tous ces exploits d’un néronisme un peu puéril, il se retire dans sa tour d’ivoire, où il dormira le jour et veillera la nuit. Il s’arrange un cabinet de travail orange avec des baguettes et des plinthes indigo ; une petite salle à manger pareille à une cabine de navire et, derrière la vitre du hublot, un petit aquarium où nagent des poissons mécaniques ; et une chambre à coucher où il imite avec des étoffes précieuses la nudité d’une cellule de chartreux.

Une nuit il passe en revue sa bibliothèque latine. Virgile est un cuistre et un raseur ; Horace a des grâces éléphantines ; Cicéron est un imbécile et César un constipé ; Juvénal est médiocre malgré quelques vers « durement bottés ». Mais Lucain, quel génie ! Et Claudien ! et Pétrone ! « Celui-là était un observateur perspicace, un délicat analyste, un merveilleux peintre ! » Pourtant rien ne vaut les écrivains de la