Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/33

Cette page n’a pas encore été corrigée

mêmes procédés et les mêmes effets, avec plus de sûreté et de maîtrise. Des tableaux éclatants et monotones ; une façon de décrire qui ne ramasse que les tons et les traits généraux, mais qui les met en pleine lumière, avec une insistance, une surabondance, une magnificence hyperboliques. Cela est souvent très beau et donne vraiment l’impression d’un monde surhumain, d’un Olympe ou d’un Éden nageant dans la gloire et dans la clarté. Ces deux mots reviennent souvent, et aussi les ors, les pourpres, les lis, les roses, le lait, le sang, la flamme, la neige, les diamants, les perles, les étoiles. Je ne parle pas des « seins », généralement « aigus » ou « fleuris » ou « étincelants » : il en a de quoi meubler tous les harems de l’Orient et de l’Occident. Il fait certainement de tous ces mots ce que d’autres n’en feraient pas : il y fait passer, comme dit Joubert, « le phosphore que les grands poètes ont au bout des doigts ». Il a eu même la puissance d’imposer à certains mots un sens nouveau et splendide. Ainsi : extasié (dont il abuse), vermeil, sanglant, farouche, etc. Par cette magie des mots on peut dire qu’il a « polychromé » les dieux grecs, qu’il a animé la noblesse de leurs contours de la vie ardente des couleurs et qu’il leur a soufflé une ivresse.

Des pièces comme l’Exil des Dieux et le Banquet des Dieux sont peut-être ce qui dans notre poésie rappelle le mieux les grandes et somptueuses compositions de Véronèse. Hercule « effrayant d’un sourire vermeil » le sanglier d’Erymanthe et le traînant de