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et lamentable des rues de faubourgs et aux lugubres paysages de la banlieue. Et cependant il les préfère à tout, il s’y confine avec délices. Il est, comme Cyprien, « à l’affût de sites disloqués et dartreux », et s’il nous mène, par exemple, « près de la place Pinel, derrière un abattoir », il nous vantera « la funèbre hideur de ces boulevards, la crapule délabrée de ces rues ».

Comment cela ? N’y a-t-il point là quelque contradiction ? Nous touchons au fond même du « naturalisme ». Ce que M. Huysmans méprise en tant que réalité, il l’apprécie d’autant plus comme matière d’art. D’ordinaire, ce qui intéresse dans l’œuvre d’art, c’est à la fois l’objet exprimé et l’expression même, la traduction et l’interprétation de cet objet : mais quand l’objet est entièrement, absolument laid et plat, on est bien sûr alors que ce qu’on aime dans l’œuvre d’art, c’est l’art tout seul. L’art pur, l’art suprême n’existe que s’il s’exerce sur des laideurs et des platitudes. Et voilà pourquoi le naturalisme, loin d’être, comme quelques-uns le croient, un art grossier, est un art aristocratique, un art de mandarins égoïstes, le comble de l’art, — ou de l’artificiel.

Il semble pourtant que le cas de M. Huysmans soit encore plus singulier, qu’il ait une espèce d’amour du laid, du plat, du bête, qu’il l’aime pour le plaisir de le sentir bête, plat et laid. Après tout, ce sentiment, continuel et outré chez M. Huysmans, ne nous est pas entièrement étranger. Qui ne s’est délecté