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dix et sept ; le rondeau, huit et cinq ; le rondel, cinq et cinq. Qu’en résulte-t-il ? Dans la plupart des ballades il n’y a de vers « nécessaires », de vers dictés, imposés par une idée ou un sentiment initial, que celui du refrain et un vers, au plus, pour chacune des autres rimes, en tout trois ou quatre vers. (Et que dire de la villanelle ou du rondeau ?) Les autres vers, étant commandés par la rime, sont ce qu’ils peuvent, se rattachent tant bien que mal à l’idée principale. Et ainsi la tâche, à force d’être difficile, redevient facile. Ces cadres bizarres sont tellement malaisés à remplir qu’on permet au rimeur d’y mettre n’importe quoi ; et dès lors c’est la cheville légitimée, glorifiée, triomphante. Il n’y a pas là de quoi être si fier. Prenez une ballade de M. de Banville, une ballade sonore, à rimes éclatantes, mais où tous les vers, sauf deux ou trois, pourraient être changés ; prenez d’autre part une « tirade » de Racine avec ses rimes banales, effacées, aux sonorités modestes (aimer, charmer, maîtresse, tristesse), mais où tous les vers sont « nécessaires », où il semble qu’on n’en pourrait enlever ni modifier un seul : même à ne considérer les deux morceaux que comme des « réussites », quelle est, à votre avis, la plus étonnante, la plus incroyable, la plus merveilleuse ?

Mais le philistin qui parlerait ainsi prouverait simplement qu’il a du bon sens et qu’il préfère à tout la raison. Que de choses M. de Banville aurait à répondre ! Quand, il y a dans un morceau trop de « vers