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qui ne sont pas au-dessous de la critique. On devra d’abord analyser l’impression qu’on reçoit du livre ; puis on essayera de définir l’auteur, on décrira sa « forme », on dira quel est son tempérament, ce que lui est le monde et ce qu’il y cherche de préférence, quel est son sentiment sur la vie, quelle est l’espèce et quel est le degré de sa sensibilité, enfin comment il a le cerveau fait. Bref, on tâchera de déterminer, après l’impression qu’on a reçue de lui, l’impression que lui-même reçoit des choses. On arrive alors à s’identifier si complètement avec l’écrivain qu’on aime que, lorsqu’il commet de trop grosses fautes, cela fait de la peine, une peine réelle ; mais en même temps on voit si bien comment il s’y est laissé aller, comment ses défauts font partie de lui-même, qu’ils paraissent d’abord inévitables et comme nécessaires et bientôt, mieux qu’excusables, amusants. Et c’est pourquoi, encore qu’il y ait beaucoup à dire sur Bouvard et Pécuchet et que ce soit un livre franchement mauvais à le juger d’après les principes de M. Brunetière, je l’ouvre volontiers, je le lis toujours avec plaisir, çà et là avec délices. C’est que j’y retrouve Flaubert dans le plein épanouissement ou plutôt, car il n’y a là rien d’épanoui, dans l’extrême rétrécissement de ses manies et de ses partis pris d’artiste ; mais enfin je l’y retrouve, avec des traits plus précis, plus sèchement et durement définis que partout ailleurs. Et cela même me plaît. Car ce qu’il y a d’intéressant, en dernière analyse, dans une œuvre d’art, c’est la transformation et