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une affectation presque égale d’écrire comme il y a deux siècles, ou d’écrire comme il est possible qu’on écrive dans cent ans ? Je compare ici, non précisément, les deux styles (M. Brunetière aurait trop d’avantages), mais les deux manies. Je conviens d’ailleurs que j’exagère un peu ma critique ; mais, comme dit l’autre, ma remarque subsiste, réduite à ce que l’on voudra.

On en peut faire une autre. Il arrive à cet écrivain si sûr, si muni contre la piperie des mots, de sacrifier plus que de raison à la symétrie de ses dissertations et de nous tromper, si j’ose dire, par l’appareil logique de ses développements[1]. Son goût de la régularité parfaite nous joue ou peut-être lui joue de ces tours. Sa passion lui en joue d’autres, et aussi son goût du paradoxe, par lequel il est d’ailleurs si intéressant. On sait qu’un paradoxe, c’est une vérité, trop vieille ou trop jeune. Vous pensez bien que ceux de M. Brunetière sont surtout des vérités trop vieilles. Or ces vérités, c’est fort bien de les rajeunir, de nous les montrer aussi insolentes et attirantes que des mensonges ; mais il est trop vrai que, dans sa joie triomphante de heurter les opinions courantes, de découvrir la vanité et la vieillerie de bien des nouveautés prétendues, il arrive à ce juge sévère d’abuser des mots

  1. Par exemple, dans l’étude sur Flaubert, M. Brunetière annonce qu’il va nous montrer les procédés de l’auteur de Madame Bovary, « comment il construit la phrase, le paragraphe, le livre tout entier ». En réalité, M. Brunetière ne nous le montre pas : ses remarques ne valent que pour certaines phrases et pour quelques paragraphes.