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Toutes les fées avaient richement doté le petit Armoricain. Elles lui avaient donné le génie, l’imagination, la finesse, la persévérance, la gaieté, la bonté. La fée Ironie est venue à son tour et lui a dit : « Je t’apporte un don charmant ; mais je te l’apporte en si grande abondance qu’il envahira et altérera tous les autres. On t’aimera ; mais, comme on aura toujours peur de passer à tes yeux pour un sot, on n’osera pas te le dire. Tu te moqueras des hommes, de l’univers et de Dieu, tu te moqueras de toi-même, et tu finiras par perdre le souci et le goût de la vérité. Tu mêleras l’ironie aux pensers les plus graves, aux actions les plus naturelles et les meilleures, et l’ironie rendra toutes les écritures infiniment séduisantes, mais inconsistantes et fragiles. En revanche, jamais personne ne se sera diverti autant que toi d’être au monde. » Ainsi parla la fée et, tout compte fait, elle fut assez bonne personne. Si M. Renan est une énigme, M. Renan en jouit tout le premier et s’étudie peut-être à la compliquer encore.

Il écrivait, il y a quatorze ans : « Cet univers est un spectacle que Dieu se donne à lui-même ; servons les intentions du grand chorège en contribuant à rendre le spectacle aussi brillant, aussi varié que possible. » Il faut rendre cette justice à l’auteur de la Vie de Jésus qu’il les sert joliment, « les intentions du grand chorège » ! Il est certainement un des « compères » les plus originaux et les plus fins de l’éternelle féerie. Lui reprocherons-nous de s’amuser