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richement commenté par lui, peut avoir aussi bien pour complément : « À quoi bon vivre ? » que : « Buvons, mes frères, et tenons-nous en joie. » Que le but de l’univers nous soit profondément caché ; que ce monde ait tout l’air d’un spectacle que se donne un Dieu qui sans doute n’existe pas, mais qui existera et qui est en train de se faire ; que la vertu soit pour l’individu une duperie, mais qu’il soit pourtant élégant d’être vertueux en se sachant dupé ; que l’art, la poésie et même la vertu soient de jolies choses, mais qui auront bientôt fait leur temps, et que le monde doive être un jour gouverné par l’Académie des sciences, etc., tout cela est amusant d’un côté et navrant de l’autre. C’est par des arguments funèbres que M. Renan, dans son petit discours de Tréguier, conseillait la joie à ses contemporains. Sa gaîté paraissait bien, ce jour-là, celle d’un croque-mort très distingué et très instruit.

M. Sarcey, qui voit gros et qui n’y va jamais par quatre chemins, se tire d’affaire en traitant M. Renan de « fumiste », de fumiste supérieur et transcendant (XIXe Siècle, article du mois d’octobre 1884). Eh ! oui, M. Renan se moque de nous. Mais se moque-t-il toujours ? et jusqu’à quel point se moque-t-il ? Et d’ailleurs il y a des « fumistes » fort à plaindre. Souvent le railleur souffre et se meurt de sa propre ironie. Encore un coup, est-il gai, ce sage, ou est-il triste ? L’impression que laisse la lecture de ses ouvrages est complexe et ambiguë. On s’est fort amusé ; on se sait