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qu’on s’y applique un peu, on ne jouit pas seulement du charme impérieux de ce style qui, avec toute sa majesté, est si libre, si hardi, si savoureux, aussi savoureux vraiment que celui de Mme de Sévigné ou de Saint-Simon : grâce aux annotations et aux appendices de M. Jacquinet, qui rafraîchissent nos souvenirs et nous permettent de saisir toutes les intentions et de suppléer aux sous-entendus, on voit revivre les morts illustres sur qui cette grande parole est tombée, et l’on s’aperçoit que c’étaient des créatures de chair et de sang et que presque tous ont eu des figures expressives et originales et des destinées singulières.

Voici Henriette de France, une petite femme sèche et noire, une figure longue, une grande bouche et des yeux ardents ; fanatique en religion, avec une foi absolue au droit des couronnes — une reine Frédérique[1] moins jeune, moins aimable et moins belle. Et quelle vie ! Des années de lutte enragée et de douleurs sans nom ; neuf jours de tempête pendant qu’elle va chercher des soldats à son mari ; des chevauchées à la tête des troupes qu’elle ramène et des nuits sous la tente ; une évasion au milieu des canonnades ; un accouchement tragique entre deux alertes ; la mère séparée de sa petite fille, ne sachant ce qu’elle est devenue ; puis, en France, l’hospitalité maigre et humiliante, la pension mal payée par Mazarin ; pas de bois en plein hiver pendant la Fronde ; la veuve du roi décapité

  1. Alphonse Daudet, les Rois en exil.