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s’éveillent au miroir de notre pensée, si nous n’avons pas le pouvoir de les rendre sensibles aux autres par des mots entrelacés. Mme Alphonse Daudet sait inventer ces mots merveilleux. Sa phrase légère et souple a continuellement des trouvailles qui ne semblent point lui coûter et qui sont pourtant les plus précieuses du monde. Voyez, par exemple, les mignonnes poupées « qui souriaient fragilement dans les luisants de la porcelaine », et « le retour bruyant de toute une après-midi d’étude, plein de petits doigts tachés d’encre et de nattes ébouriffées », et ces « tapisseries au petit point usées et passées qui faisaient rêver de petites vieilles à mitaines utilisant la vie et la chaleur de leurs mains tremblantes jusqu’à leurs derniers jours, comptés aux fils du canevas », et ce « cadavre de papillon aux ailes pâles et dépoudrées », et la flamme du foyer qui « empourpre les rideaux cramoisis et, comme dans des yeux aimés, se rapetisse aux saillies des vieux cuivres ».

Est-ce elle, l’auteur de l’Enfance d’une Parisienne, ou est-ce lui, l’auteur du Nabab, qui a écrit ces phrases et tant d’autres ? Ou bien lui aurait-il appris comment on trouve ces choses-là, et ne serait-elle qu’une surprenante écolière ? Hélas ! ce serait grande naïveté de croire que cela s’apprend. Il y faut le don inné, inaliénable et incommunicable, ce don de Charles Demailly si simplement et profondément défini par MM. de Goncourt : « Savez-vous qui je suis ? Je suis un homme pour qui le monde visible existe. » Ce