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I

Et Mme Alphonse Daudet écrirait ainsi. Sa marque, c’est d’avoir su, tout en gardant des grâces et des qualités féminines, exprimer avec intensité les objets extérieurs et en communiquer l’impression directe et première, d’être enfin la plume la plus « sensationniste » du sexe sentimental. Ce don, qu’elle possédait sans doute naturellement, a pu se développer sans effort dans un milieu favorable, dans la continuelle compagnie d’artistes nerveux, toujours en quête de sensations fines et de mots vivants, toujours en gésine de locutions inouïes et non encore essayées… Tranquillement elle leur a pris leur art difficile, comme en se jouant, sans rien perdre de l’aisance de ses mouvements de femme.

Les cinquante pages de l’Enfance d’une Parisienne sont tout à fait exquises. Nul sujet, à vrai dire, n’appelait mieux le genre de style que j’ai essayé de définir ; car les souvenirs de l’enfance, ce ne sont point des sentiments, mais plutôt des groupes de sensations, des visions où il y a du bizarre et de l’inattendu. « Les toutes jeunes mémoires, dans leurs limbes confus, ont de grands éclairs entourés de nuit, des apparitions de souvenirs bien plus que des souvenirs réels. » Le travail d’élimination et de synthèse que la volonté de