Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/170

Cette page n’a pas encore été corrigée

et dont on se demande pourquoi ils vivent, d’autres êtres naturellement pervers et méchants, une masse aveugle, brutale et misérable ; pour les plus intelligents et les meilleurs, d’affreuses douleurs imméritées et, à leur défaut, d’inévitables heures de tristesse et le sentiment de l’inutilité de toutes choses.

Ce rêve, quel qu’il soit, est celui d’une élite. Il faut, pour le faire, passablement de littérature. Il ne semble pas devoir revêtir jamais ni une forme précise ni surtout une forme populaire. C’est, suivant les personnes, un amusement ou une foi aristocratiques. Dépouillé de la forme que lui donnent les lettrés et des réminiscences poétiques avec lesquelles il se confond presque entièrement, mis à la portée du peuple, ou bien il s’évanouirait, ou bien il tournerait à un sensualisme rudimentaire et cru. Et la façon la plus grossière et la plus sauvage même de comprendre le dogme chrétien vaut encore mieux pour le bonheur et la dignité des simples.

Ce rêve, si on veut l’exprimer uniquement, produira des oeuvres distinguées, mais un peu froides, et qui ne seront goûtées que d’un petit nombre d’initiés.

Mais ce ne sont là que des conséquences extrêmes et on sait que la logique se trompe souvent. Le culte exclusif d’une seule des formes de la vie humaine dans le passé ne suffirait peut-être pas à remplir notre vie, ni à nous fortifier et à nous consoler dans l’épreuve ; mais, en réalité, une sympathie, une curiosité de ce genre s’accompagne toujours, qu’on le sache ou non, d’autres