Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

Si nous avons, nous modernes, une sensibilité si fine et une « nervosité » dont nous sommes fiers — parfois un peu plus que de raison, c’est peut-être que les hommes du moyen âge, dont nous sommes le sang, ont eu des passions autrement violentes, ce semble, des douleurs, des aspirations, des épouvantes intimes autrement variées que les Grecs anciens. La foi chrétienne, en se mêlant à toutes les passions humaines, les a compliquées et agrandies par l’idée de l’au delà et par l’attente ou la crainte des choses d’outre-tombe. La pensée de l’autre vie a changé l’aspect de celle-ci, provoqué des sacrifices furieux et des résignations d’une tendresse infinie, des songes et des espérances à soulever l’âme, et des désespoirs à en mourir. Madeleine avait tort de se plaindre tout à l’heure : la femme, devenue la grande tentatrice, le piège du diable, a inspiré des désirs et des adorations d’autant plus ardentes et a tenu une bien autre place dans le monde. La malédiction jetée à la chair a dramatisé l’amour. Il y a eu des passions nouvelles : la haine paradoxale de la nature, l’amour de Dieu, la foi, la contrition. À côté de la débauche exaspérée par la terreur même de l’enfer, il y a eu la pureté, la chasteté chevaleresques ; à côté de la misère plus grande, et à travers les férocités aveugles, une plus grande charité, une compassion de la destinée humaine où tout le coeur se fondait. Il y a eu des conflits d’instincts, de passions et de croyances, des luttes intérieures qu’on ne connaissait point