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nous enseigne la sagesse, la paix et la résignation quand nous nous sentons une si négligeable partie de ce tout démesuré. Sont-ce là toutes les façons d’être ému en face de la nature ? Peut-être en est-il une autre, plus obscure à la fois et plus violente. Il peut arriver que le spectacle des puissances naturelles et de leurs manifestations fatales exaspère en nous, je ne sais comment, la souffrance innée de nous sentir finis, de n’être que nous, et le désir vague d’en sortir et de nous mêler à l’être universel. C’est le vœu suprême de saint Antoine, l’aboutissement de la tentation : «… Je voudrais descendre jusqu’au fond de la matière, être la matière[1]. »


Voilà tout, je crois ; et encore y a-t-il là bien des sentiments dont on ne trouve pas trace dans les écrits des anciens. Mais, quand Melissandre la païenne écrit ces phrases mystérieuses :

Je voulus connaître le secret des choses… Mes idées étaient simples. Elles gravitaient sans effort dans les voies supérieures où l’on rencontre les dieux… Je ne voyais pas seulement avec les yeux, mais avec tout mon être… Je pénétrais le secret des lois d’échange avec la nature et mêlais mon individualité au grand tout… Je découvrais les affinités divines, humaines, naturelles, de toute force, de toute vie, etc.[2].

On n’est plus bien sûr de comprendre ; on se

  1. Flaubert, la Tentation de saint Antoine.
  2. Païenne, p. 17.