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De même, les personnages de ces romans païens portent dans l’amour de la nature une sensibilité violente et vague que les anciens Grecs ne paraissent pas avoir connue. Très certainement les Athéniens ne jouissaient pas de la campagne comme nous. La plupart ne vivaient guère aux champs, étaient de purs citadins, attachés aux pavés du Pnyx ou de l’Agora. Quant à leurs poètes, quelques-uns aiment certes et décrivent la nature ; mais toujours leurs paysages sont courts et simples, même ceux de Théocrite : à peine un peu de mignardise chez Bion et chez quelques poètes de l’Anthologie. Jamais, chez eux, de ces curiosités d’analyse, de ces efforts pour exprimer tels effets rares de lumière et de couleur. Puis leurs descriptions sont toujours tranquilles : ils n’éprouvent point, aux spectacles de la nature, le plaisir inquiet, le mal d’amour de certains modernes et cette espèce d’ivresse voulue et qui se bat un peu les flancs. Ils goûtent la campagne, ils n’en ont point la passion. Il y a d’ailleurs tels sites sauvages, formidables, qui nous ravissent et qui leur eussent franchement déplu. Ils aimaient les sites bornés, bien limités et bien construits. Ils ne s’évertuaient point devant les tableaux extraordinaires. Un Grec eût été plus froid que Jean Lalande en présence d’un fouillis d’orchidées[1] ; un Grec n’eût point entrepris d’analyser et d’exprimer par des mots la prodigieuse gamme de

  1. Jean et Pascal, p. 171 sqq.