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  La terre, à son tour, dans l’espace,
  En glissant sur l’immense éther,
  Sans la verser porte avec grâce
  La coupe verte où dort la mer.

  Et la mer porte sur ses ondes
  Le vaisseau qui se rit des flots.
  Et la nef sous ses voiles rondes
  M’emporte avec les matelots.

  Et moi, pauvre oiseau de passage
  Que le sort loin d’Elle a banni,
  Je porte en mon cœur son image
  Où je retrouve l’infini.

Mais je préfère encore certaines « élégies » familières un peu dans la manière de Sainte-Beuve, avec plus de bonhomie, de candeur et de cordialité, où le poète nous raconte quelques-unes de ses impressions intimes : le départ du pays natal, la rose cueillie dans le jardin au dernier moment, une promenade dans un petit bois avec une coquette, le sentiment complexe qu’il éprouve auprès d’une femme qu’il a connue enfant, aimée jeune fille, et qu’il retrouve mariée, etc. Voici qui vous donnera une idée de cette poésie délicate et un peu triste. Le poète est dans la rue, remontant « le torrent de la foule » :

  On se croise en silence, on s’effleure, on se touche,
  On se jette en passant presque un regard farouche.
  On se toise d’un air de mépris transparent ;
  Le moins qu’on se permet est d’être indifférent.
  Et cet homme qu’ainsi l’on juge à la volée,
  C’est peut-être un grand cœur, une âme inconsolée.
  Celui-ci, mieux connu, si le ciel l’eût permis,
  Eût été le meilleur de vos plus chers amis !