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l’amour de la patrie se combine avec d’autres sentiments et que la patrie elle-même devienne quelque chose de vivant et de concret. Quand j’entends déclamer sur l’amour de la patrie, je reste froid, je renfonce mon amour en moi-même avec jalousie pour le dérober aux banalités de la rhétorique qui en feraient je ne sais quoi de faux, de vide et de convenu. Mais quand, dans un salon familier, je sens et reconnais la France à l’agrément de la conversation, à l’indulgence des mœurs, à je ne sais quelle générosité légère, à la grâce des visages féminins ; quand je traverse, au soleil couchant, l’harmonieux et noble paysage des Champs-Élysées ; quand je lis quelque livre subtil d’un de mes compatriotes, où je savoure les plus récents raffinements de notre sensibilité ou de notre pensée ; quand je retourne en province, au foyer de famille, et qu’après les élégances et l’ironie de Paris je sens tout autour de moi les vertus héritées, la patience et la bonté de cette race dont je suis ; quand j’embrasse, de quelque courbe de la rive, la Loire étalée et bleue comme un lac, avec ses prairies, ses peupliers, ses îlots blonds, ses touffes d’osiers bleuâtres, son ciel léger, la douceur épandue dans l’air et, non loin, dans ce pays aimé de nos anciens rois, quelque château ciselé comme un bijou qui me rappelle la vieille France, ce qu’elle a fait et ce qu’elle a été dans le monde : alors je me sens pris d’une infinie tendresse pour cette terre maternelle où j’ai partout des racines si délicates et