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vent aussi, en bien des parties, être déraisonnables, absurdes et fous (voyez le Paradis perdu). Ce qui fait que quelques-uns sont des chefs-d’œuvre, c’est la puissance du poète à sentir ; c’est le flot, la grande poussée des sensations, des images, des sentiments ; c’est enfin une forme égale à la splendeur de la vision. Souvent le grand poète n’a pas des conceptions plus rares ni plus ingénieuses que nous autres qui sommes des têtes dans la foule ; mais il sent dix fois plus fortement que nous, il crée dix fois plus d’images, et l’expression suit, et toute son âme y passe, puis se communique aux autres. Voilà tout. M. Grenier a vu passer les fantômes de merveilleux poèmes. La question est de savoir s’il leur infuse assez de sang pour qu’ils vivent. C’est sa gloire qu’on puisse au moins se poser la question.

Il n’est pas de grand sujet qui n’ait tenté M. Grenier. L’amour de la patrie est tout vibrant dans Marcel, dans Francine et dans Jacqueline Bonhomme. Marcel, c’est le héros cher aux romantiques. Il s’ennuie, il rêve, il ne sait que faire de sa vie. Il quitte Paris et se réfugie dans son pays natal pour s’y rajeunir et s’y retremper. Là il est aimé d’une bergère et se met à l’aimer. Mais, craignant de faire le malheur de la pauvre fille, il la quitte, il va à Venise. Il y rencontre une jeune Polonaise accompagnée de son frère et s’en va se battre avec eux pour l’indépendance de la Pologne. Blessé, il est soigné par son amie… Et, la guerre franco-allemande étant survenue pendant que M.