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  Des collègues heureux de ce jour de congé,
  Il rentra dans sa chambre et songea, solitaire.
  Il se vit sans amis, pauvre célibataire,
  Vieil enfant étonné d’avoir des cheveux gris.
  Il sentit que son âme et son corps avaient pris
  Depuis vingt ans la lente et puissante habitude
  De l’ennui, du silence et de la solitude ;
  Qu’il n’avait prononcé qu’un mot d’amour : « Maman »,
  Et qu’il n’espérait plus que son simple roman
  Pût s’augmenter jamais d’un plus tendre chapitre.
  Le jour à son bureau, le soir à son pupitre,
  Il revient donc s’asseoir résigné, mais vaincu,
  Et, libre, il vit ainsi qu’esclave il a vécu.
  Même dans la maison qu’il habite, personne
  Ne songe qu’il existe et, la nuit, quand il sonne,
  Le vieux portier — il a soixante-dix-sept ans
  Et perd la notion des choses et du temps —
  Se réveille, maussade, et murmure en son antre :
  « C’est le petit garçon du cinquième qui rentre. »

On connaît assez, et plus qu’assez, la Grève des forgerons et la Bénédiction, si remarquables par le mouvement du récit et par l’entente de l’effet dramatique. Il y a dans les Aïeules une largeur de touche, une franchise qui fait penser aux dessins de François Millet et, dans les contes parisiens si bien contés de la Marchande de journaux et de l’Enfant de la balle, un mélange bien amusant d’esprit, d’émotion et d’adresse technique. Je m’en voudrais enfin de ne pas rappeler spécialement certaines pages tout à fait exquises : l’enfance pieuse de la petite fille noble et de son ami le fils du fermier, le gauche petit séminariste, et plus tard les visites du vieux prêtre à la vieille dévote[1]. Et je regrette de ne pouvoir citer

  1. En province.