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rythme lent et d’une limpidité cristalline. Mais ce n’est pas tout. Il y a là (je suis fâché que le mot ne soit plus à la mode) une mélancolie qui caresse, une tristesse voluptueuse et comme amusée, le double sentiment de la grâce des choses et de leur fugacité, une élégante rêverie d’anémique et de dilettante[1]. Je crois bien qu’après tout on ne saurait mieux trouver, pour caractériser ce charme, que le mot de morbidesse, devenu malheureusement aussi banal que celui de mélancolie et plus ridicule encore : c’est étonnant, la quantité de mots usés qu’on n’ose plus employer de notre temps !

Ce charme, quel qu’il soit, respire dans les Intimités. Ce n’est presque rien pourtant : une liaison avec une Parisienne ; des rendez-vous dans une chambre bleue ; attentes, souvenirs, quelques promenades ensemble, puis la lassitude… Mais ce sont des câlineries, des mièvreries, des chatteries de sentiment et de style ! Ainsi que des chiffons de la bien-aimée, il s’en exhale « quelque chose comme une odeur qui serait blonde ». Non pas « amour-passion », non pas même peut-être « amour-goût », mais « amour-littérature », d’une volupté digérée et spiritualisée ; passion d’artiste blasé d’avance, mais qui se plaît à ce demi-mensonge, de sceptique au cœur tendre qui se délecte ou se tourmente avec ses imaginations ; amour où se rencontrent, je ne sais comment, l’égoïsme du raffiné

  1. C’est ici qu’il faudrait citer le Passant, si le théâtre de M. Coppée ne voulait une étude à part.