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… Mais il ne m’importe de quelle façon je vous écrive, pourvu que j’aie le plaisir de vous entretenir ; de même qu’il me serait bien difficile d’attendre après la digestion de mon souper si je me trouvais à la première nuit de mes noces. Je ne suis pas assez patient pour observer tant de formalités.

Il y a là, si je ne me trompe, quelque chose de brutal à la fois et de candide. « À la première nuit de mes noces… » Sentez-vous, au milieu même d’un badinage assez libre, la réserve d’un bon jeune homme encore intact, et proche encore des pieux enseignements de ses maîtres ? Il est clair qu’un jeune libertin du même temps aurait écrit qu’il lui serait difficile d’attendre après la digestion de son souper « s’il avait Amarante ou Chloris dans ses bras », ou quelque chose d’approchant ; mais cette intervention si inattendue de la « nuit de noces », de l’idée de mariage et d’amour permis me ferait assez croire que Racine, à vingt et un ans, était encore, dans le fond, le digne petit-fils, petit-cousin et neveu de tant de saintes religieuses. Nous n’avons pas ici affaire à un étudiant d’aujourd’hui, qu’aucune règle ni aucun souvenir d’une règle ne retient, mais à un jeune homme d’une éducation particulièrement pieuse, chez qui la chaste empreinte est profonde et le scrupule tenace. Il y a encore de l’innocence dans les lettres écrites d’Uzès en 1662 et 1663. Je crois que ce fut seulement vers le temps où il fit jouer sa première pièce et connut familièrement des comédiennes, que l’élève de Lancelot