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Et toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laisser aucun nom, et mourir tout entier ?
Oh ! ne nous formons point ces indignes obstacles ;
L’honneur parle, il suffît ; ce sont là nos oracles…

ou si vous aimez mieux :

Ô toi qui me connais, te semblait-il croyable
Que le triste jouet d’un sort impitoyable,
Un cœur toujours nourri d’amertume et de pleurs,
Dût connaître l’amour et ses folles douleurs ?
Reste du sang d’un roi noble fils de la Terre,
Je suis seule échappée aux fureurs de la guerre.
J’ai perdu, dans la fleur de leur jeune saison,
Six frères, quel espoir d’une illustre maison !
Le fer moissonna tout ; et la Terre humectée
But à regret le sang des neveux d’Érechtée…

Et le grand mérite de ce style de Racine, c’est qu’il nous ménage, c’est que ses hardiesses ne s’étalent point, c’est qu’elles ne sont pas continues et accablantes par leur nombre, c’est qu’elles ne sont pas insolentes, c’est qu’on ne se demande jamais si par hasard elles ne nous prendraient pas pour dupes… Le goût ! la perfection ! la clarté suprême, la subordination de la sensibilité au jugement ; ce qui fait que l’on comprend toujours, qu’on ne se demande point (comme pour Hamlet par exemple) ni si tel personnage est fou, ni dans quel moment il l’est, ni ce qu’il a voulu dire, ni « pourquoi ces choses et non pas d’autres » ; ce don si français, ce don que les autres peuples n’ont évidemment pas reçu au même degré, ce qu’on a appelé « le goût de l’intelligible » ; cette faculté