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une brutalité foncière et, pêle-mêle, des héroïsmes et d’abominables crimes.

Racine, chrétien soumis, est un peintre et un psychologue sans peur. Et c’est fort heureux. Je l’aime mieux ainsi qu’esprit fort et peintre timide (comme Voltaire, si vous voulez). Sa conception du péché ne l’empêche pas de nous montrer des pécheresses, — sans d’ailleurs les qualifier. Sa foi ne l’empêche pas de nous montrer un révolté comme Oreste ou un sceptique comme Acomat et, semble-t-il, de s’y complaire. Les sentiments défendus ou même les hardiesses de pensée, il les exprime aussi librement que s’il n’était pas chrétien, et d’autant plus librement qu’il ne les prend pas à son compte. Et qui sait s’il ne jouit pas secrètement de pouvoir, sans se compromettre, traduire les âmes criminelles ou les intelligences perverses ?

Le théâtre du plus chrétien des siècles, et surtout le théâtre de Racine, n’est chrétien que fort indirectement, et de la façon que j’ai déjà indiquée. Et je ne doute plus— comme j’ai eu tort de le faire jadis— du bienfait de la Renaissance, qui, en paganisant le drame dans sa forme sans toutefois le déchristianiser dans son fonds intime, l’a, en somme, humanisé et élargi.

Ce que Racine, ainsi libéré par l’imitation même de l’antiquité classique, se trouve avoir peint avec la vérité la plus complote, et j’ai dit pourquoi, — c’est l’amour. Mais, heureusement pour ceux qui devaient venir après lui, ce qu’il a