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ses traits essentiels, survivra soixante ans à ce débarras. Corneille peut-être, qui rusa toute sa vie avec les règles, eût pu être induit, par un meilleur aménagement scénique et par le désir d’en profiter, à enfreindre ces fameuses règles dans ce qu’elles avaient de trop formaliste : Racine, nullement.

Racine assouplit l’ancien ton trop oratoire. Racine se contente du médiocre carré de planches qu’on lui laisse. Quant aux unités, il s’en accommode et ne les discute pas. Elles ne le gênent point. Il sent au contraire qu’elles l’aident en quelque façon en l’obligeant de faire plus serré et plus fort.

« La tragédie française est une crise » (Gœthe). Cela est surtout vrai de la tragédie de Racine. « Racine prend son point de départ si près de son point d’arrivée, qu’un tout petit cercle contient l’action, l’espace et le temps » (Lanson). Il prend Pyrrhus vingt-quatre heures avant qu’il ne se décide pour Andromaque, Néron vingt-quatre heures avant son premier crime, Bérénice vingt-quatre heures avant son départ de Rome, etc. Nulle intrusion du hasard (excepté dans Mithridate et dans Phèdre, par le retour imprévu d’un personnage qu’on croyait mort). L’action se noue simplement par les caractères, les passions et les intérêts des personnages en présence ; et seules ces forces agissent. Un peu de lenteur au premier acte, où il est nécessaire de nous apprendre ce que nous devons connaître du passé ; mais, dans aucun théâtre, l’action intérieure n’est plus continue