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On serait néanmoins curieux de savoir ce que pensait Racine de ces égorgements et des démesurées vengeances de la reine Esther. Il pensait apparemment, comme Sacy dans ses explications de la Bible, « qu’on a quelque lieu de s’étonner que Mardochée et Esther, qui procurent cet édit, aient pu se porter à un excès si cruel en apparence », mais que ces choses se passaient durant le temps de l’ancienne loi qui était un temps de rigueur, et que d’ailleurs « on peut présumer que l’esprit de Dieu, qui avait conduit jusqu’alors tant la reine que Marchodée, leur inspira aussi bien qu’au roi d’en user ainsi pour des raisons qu’on est plus obligé d’adorer que de pénétrer » . Amen.— Qui ne sait, au reste, que les chrétiens lisent la Bible avec des yeux particuliers et qu’il est excellent qu’il en soit ainsi ? Et enfin l’action de la tragédie de Racine s’arrête à la délivrance des Juifs et à la punition de l’abominable Aman, et il a pu se dire que le reste ne le regardait pas.— Puis, l’antisémitisme était inconnu au XVIIe siècle, et parce que le livre sacré des Juifs est aussi celui des chrétiens, et parce que les Juifs, sans être aucunement persécutés, étaient maintenus, politiquement, dans la situation qui convenait à des gens que l’on considérait comme des « métèques », et paraissaient s’en accommoder.

C’est égal, dire que c’est de ce farouche livre d’Esther que Racine a pu tirer ce délicieux poème, où la Muse de la tragédie paraît enveloppée des