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Ainsi l’on s’en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l’amour, et l’âme et l’esprit si persuadés de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l’on a vus si bien dépeints dans la comédie.

(Et la même thèse sera reprise par Bossuet avec beaucoup de force dans les Maximes et Réflexions sur la comédie, 1694.)

Ainsi la représentation même de l’amour innocent était funeste aux âmes. Que dire des peintures de l’amour d’Hermione ou de Roxane ? Et les peintures de l’amour désordonné, mais, en quelque façon, normal dans son désordre, n’avaient pas suffi à Racine. Il en était venu à décrire avec complaisance des cas singuliers et morbides : l’amour d’un vieillard pour une jeune fille, et d’un vieillard jaloux de son fils ; l’amour d’une fille pour l’homme couvert de sang qui l’a violemment enlevée, et enfin l’amour incestueux d’une femme pour son beau-fils. Et sans doute Phèdre haïssait son mal, mais elle l’aimait aussi ; secrètement elle espérait l’assouvissement de son désir ; et sans doute elle n’accusait pas elle-même, sinon indirectement,

Vous êtes offensé, la fortune jalouse N’a pas en votre absence épargné votre épouse,

mais elle laissait lâchement accuser l’innocence. Et Phèdre avait parti aimable ; et Boileau avait parlé