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En violent contraste avec cette fille si disciplinée, Racine a mis l’effrénée, la romantique Ériphile, dont le foudroyant petit roman est une si saisissante invention ; Ériphile, vraie sœur du romantique Oreste ; Ériphile, amoureuse perverse d’Achille, pour s’être sentie pressée dans les bras « ensanglantés » de ce jeune homme et y avoir un instant perdu connaissance (car nous sommes dans un temps où les guerriers enlèvent les femmes et n’en sont pas moins capables de générosité et très beaux parleurs ; et cela n’a rien d’incompatible) ; Ériphile, qui se croit maudite (comme Hernani et Didier), et d’ailleurs s’en vante, et, à cause de cela, se croit tous les droits ; orgueilleuse du secret de sa naissance, du mystère de sa destinée, et du don fatal qu’elle possède, à ce qu’elle dit, de répandre le malheur autour d’elle ; Ériphile dévorée à la fois de jalousie et d’envie ; qui dénonce à Calchas la fuite d’Iphigénie, et qui, la poussant au bûcher, s’y condamne elle-même sans le savoir ; — et qui cependant, tout le long de son rôle, dit des choses si étrangement belles :

Je le vis : son aspect n’avait rien de farouche.

(Elle s’éveille d’une syncope dans les bras d’Achille.)

Je sentis le reproche expirer dans ma bouche. Je sentis contre moi mon cœur se déclarer ; J’oubliai ma colère et ne sus que pleurer…