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qu’un autre donnera à la jeune femme, on ne pourrait le lui donner ; et cette inévitable pensée : « Si ce n’est moi qui la possède, que du moins ce ne soit personne. » Et c’est pourquoi Mithridate, à l’insupportable idée que, lui mort, Monime serait à Xipharès, n’hésite pas un moment à envoyer du poison à celle qu’il adore. Tout cela, compliqué par ce fait, que le rival de Mithridate est un fils pour qui il a de l’estime et de l’affection ; et tout cela, en outre, poussé à l’atroce par la condition, la race et le passé de Mithridate, sultan oriental vaguement teinté d’hellénisme, habitué au sang, traqué comme une bête dans sa jeunesse, et qui a dû, de bonne heure, répondre aux crimes par des crimes, et trahir pour se défendre de la trahison : à la fois homme de désir et de volonté indomptables, et homme de dissimulation et de ruse. (Celle par laquelle il arrache à Monime l’aveu de son amour pour Xipharès convient singulièrement à son personnage.)

Mais si torturé, avec cela ! Rappelez-vous les choses qu’il se dit quand il est seul :

Non, non, plus de pardon, plus d’amour pour l’ingrate.
Ma colère revient, et je me reconnais.
Immolons, en partant, trois ingrats à la fois…
Sans distinguer entre eux qui je hais ou qui j’aime,
Allons, et commençons par Xipharès lui-même.
Mais quelle est ma fureur ! et qu’est-ce que je dis ?
Tu vas sacrifier qui, malheureux ? Ton fils !
Un fils que Rome craint, qui peut venger son père