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moi, ce que peut être l’amour chez un sexagénaire : le sentiment le plus fort, le plus exigeant, le plus douloureux, le plus féroce. » Il était d’ailleurs assez naturel qu’aux autres variétés de l’implacable amour il voulût ajouter celle-là, qui n’avait pas encore été peinte dans toute sa vérité. Racine complétait ainsi sa ménagerie de fauves bien disants. Et donc il conçoit et réalise Mithridate, rival de ses fils à cinquante-sept ans, et du premier coup ramasse et fait vivre en lui tous les terribles caractères du lamentable amour des hommes trop vieux.

Car vraiment tout y est bien : le désir d’autant plus furieux, qu’il se sent anormal, et que le vieillard épris sait bien qu’il ne pourra satisfaire que médiocrement la jeune femme qu’il aime et risque même d’y échouer tout à fait : d’où une sorte de honte qui l’empêche de parler directement de cet amour dont il est consumé. Mithridate ne déclare point en face à Monime qu’il l’aime : il attend d’être tout seul pour dire avec un râle : « Je brûle, je l’adore. » (Acte IV.) Oui, tout y est : le manque de clairvoyance, qui vient justement d’une attention et d’une défiance trop soutenues : celui que Mithridate charge de veiller sur Monime et de la disposer à ce qu’il veut, c’est précisément Xipharès, celui de ses fils qui est aimé de Monime.— Tout y est : la torture continuelle du soupçon et, quand le soupçon est devenu certitude, la jalousie forcément meurtrière, par la rage de sentir que ce