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a point peur ; il la connaît ; il vit avec elle ; depuis qu’il est au monde, il l’a vue assise à son chevet. Entendez-le répondre à Acomat qui le presse d’épouser Roxane :

… Acomat, c’est assez. Je me plains de mon sort moins que vous ne pensez. La mort n’est pas pour moi le comble des disgrâces. J’osai, tout jeune encor, la chercher sur vos traces ; Et l’indigne prison où je suis enfermé À la voir de plus près m’a même accoutumé. Amurat à mes yeux l’a vingt fois présentée : Elle finit le cours d’une vie agitée…

Non, s’il craint, ce n’est point pour sa vie, c’est pour son amour, c’est pour Atalide. C’est pour elle qu’il consent à mentir comme il fait.

Et alors, à y regarder de près, son cas paraît digne d’une sympathie et d’une pitié immenses. Bajazet, c’est l’honnête homme engagé dans une situation fausse, contraint de s’abaisser moralement à ses propres yeux pour faire ce qu’il croit être son devoir, — et de revêtir des apparences équivoques au moment même où il est en réalité le plus héroïque. Le type devient ainsi très général. Tous ceux-là aimeront et comprendront Bajazet, qui ont été obligés de mentir et de soutenir péniblement leur mensonge, par amour, fidélité, « loyalisme », compassion, et pour épargner des douleurs à une autre créature. Ce rôle si compliqué, si gêné, si peu « avantageux » contient donc plus de tragique peut-être que les grands rôles des héros de tragédie. Je voudrais seulement que Bajazet