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Mais il est temps de voir si Bérénice est conforme à la définition qu’en donne Racine dans son ingénieuse préface. Il est temps de voir comment Bérénice est « faite », et comment l’ordonnance la plus habile et la plus savante y paraît le développement naturel et nécessaire de la situation une fois donnée.

À première vue, le sujet comportait, outre un ou deux monologues de Titus, deux grandes scènes seulement : la scène d’explication entre les deux amants, et la scène du sacrifice. Racine, chose prodigieuse, a eu l’art de reculer la scène d’explication jusqu’au quatrième acte. Elle est d’autant plus émouvante qu’il nous l’a fait attendre davantage et que, lorsque les deux intéressés se rencontrent enfin, ils savent l’un et l’autre de quoi il retourne et ont été progressivement amenés par le poète au plus haut point de douleur et d’angoisse. Comment s’y est-il pris pour nous rendre à la fois poignants et vrais et ce retardement et cette longue séparation ? En connaissant bien ses personnages ; en vivant lui-même, profondément, leur vie passionnelle ; en se donnant leur âme, car il n’y a pas d’autre secret.

Il a compris que Titus, soit pitié, soit manque d’un affreux courage, devait avoir presque tout de suite l’idée de faire annoncer son malheur à Bérénice par un intermédiaire. D’où le personnage du roi Antiochus. Mais, par une inspiration singulièrement heureuse, il a voulu qu’Antiochus