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si je ne craignais de diminuer les choses— un somptueux madrigal théologique.

La pauvre Henriette était morte quand fut jouée cette Bérénice qu’elle eût tant aimée ; car Bérénice est tendre et délicate comme elle. Le roi ne put donc échanger avec « Madame » nul sourire mystérieux et mélancolique. Nous savons seulement, par la préface de Racine, que Bérénice eut « le bonheur de ne pas déplaire à Sa Majesté » . Cela veut dire que le roi s’y reconnut sans chagrin, et que, dès lors, il y eut donc, entre le roi et Racine, quelque chose de presque intime et confidentiel, quoique inexprimé, qui n’y était pas auparavant…


Mais pourquoi a-t-on pris l’habitude d’appeler Bérénice une élégie divine ? C’est, bel et bien, une divine tragédie. Il est vrai qu’elle est fort simple, et que toutes les situations y sont uniquement provoquées par les sentiments des personnages, et sans nulle intervention d’un hasard artificieux : ce dont nous ne nous plaindrons point. Mais, au reste, tout y est « en action » ; chaque scène nous révèle, chez les personnages, un « état d’âme » qui ne nous avait pas encore été pleinement montré, et les laisse dans une disposition en partie nouvelle ; le mouvement est continu, et l’intérêt est des plus puissants qui soient, puisque ce qu’on nous raconte, c’est l’histoire éternelle de la séparation des cœurs aimants. Oui, c’est bien un drame, harmonieux délicieusement, infiniment douloureux.