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une représentation agréable. En effet, l’idée de Narcisse, d’Agrippine et de Néron, l’idée, dis-je, si noire et si horrible qu’on se faisait de leurs crimes ne saurait s’effacer de la mémoire du spectateur, et, quelque effort qu’il fasse pour se défaire de la pensée de leur cruauté, l’horreur qu’il s’en forme détruit en quelque manière la pièce.

Ainsi parle, bizarrement et assez mal, Saint-Évremond, si intelligent et d’esprit si libre par ailleurs.

Et la Rodogune ? Et l’Héraclius de votre Corneille ? pourrait-on lui répondre. Mais il est très vrai que ce n’est pas la même chose. Cléopâtre dans Rodogune, Phocas dans Héraclius sont bien d’abominables criminels ; mais ils sont sans nuances, mais leurs actes même sont commandés par la nécessité d’amener telle situation dramatique ; et enfin leur scélératesse est comme en dehors du champ de notre expérience personnelle. Ils tiennent de l’ogre et du croquemitaine. Mais Agrippine et Néron sont des criminels compliqués, partagés, et avec qui, si atroces qu’ils soient, nous ne perdons pas le contact. Ils sont plus effrayants d’être vrais. Saint-Évremond a donc raison à sa manière.

Retenons-en ceci, que ce qui, chez Racine, frappe une bonne partie de ses contemporains, ce n’est pas la douceur, ce n’est pas la tendresse, mais c’est la force, c’est le goût du « noir et de l’horrible » et d’un certain tragique âpre et sombre, d’autant plus sombre qu’il est dans les âmes plus encore que dans les situations.

Saint-Évremond était resté un oracle pour ceux