Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’Aulide, absolument gâté, peut avoir été très bon mais il n’a jamais pu contenir un nombre approchant de deux mille vaisseaux ou simples barques…

Je croirais volontiers que les historiens se sont imaginé qu’il était plus beau de faire combattre trois cent mille hommes que vingt mille, et vingt rois plutôt que vingt petits seigneurs.

Et le sagace diplomate conclut :

Dans le fond, les grands auteurs, par la seule beauté de leur génie, ont pu donner des charmes éternels, et même l’être aux royaumes, le nombre aux armées, et la force aux simples murailles. Ils ont laissé de grands exemples de vertu comme de style, fournissant ainsi leur postérité de tous ses besoins… Il n’importe guère de quel pays soient les héros.

Je trouve cette lettre admirable de sens critique et de liberté d’esprit.— Racine, pieux commentateur d’Homère, sait aussi que Pyrrhus n’a pu être qu’un « petit seigneur », selon le mot de Guilleragues. Il sait que le petit château-fort habité par ce jeune chef ne pouvait ressembler à la cour de Versailles. Mais il sait qu’après tout, des vassaux autour d’un chef, c’est encore une cour et que, partout où il y a une cour, il y a un cérémonial. Et il ne craint donc pas de parler de la « cour de Pyrrhus » .

Vous vous rappelez que Leconte de Lisle, traduisant Eschyle, ne le trouve pas assez sauvage et, pour nous étonner, rend l’Orestie plus atroce qu’elle n’est dans le texte grec. La « couleur locale », il en remet ! — Racine pense, tout au contraire, qu’il importe à notre plaisir que nous ayons le plus