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contrôler la vérité de la couleur dans Bajazet. Il écrivait à Racine, le 9 juin 1684 :

Vos œuvres, plusieurs fois relues, ont justifié mon ancienne admiration. Éloigné de vous, monsieur, et des représentations qui peuvent en imposer… vos tragédies m’en ont paru encore plus belles et plus durables. La vraisemblance en est merveilleusement observée, avec une profonde connaissance du cœur humain dans les différentes crises des passions.

Or— et c’est où j’en voulais venir— Guilleragues avait visité les pays où se passent la plupart des tragédies de Racine, et voici ce qu’il en disait :

Dieu me préserve de traiter la respectable antiquité comme Saint-Amant a traité l’ancienne Rome (dans Rome ridicule) ; mais vous savez mieux que moi que, dans ce qu’ont écrit les poètes et les historiens, ils se sont plutôt abandonnés au charme de leur brillante imagination qu’ils n’ont été exacts observateurs de la vérité…

Le Scamandre et le Simoïs sont à sec dix mois de l’année : leur lit n’est qu’un fossé… L’Hèbre est une rivière de quatrième ordre. Les vingt-deux royaumes de l’Anatolie, le royaume de Pont, la Nicomédie donnée aux Romains, l’Ithaque, présentement l’île de Céphallonie, la Macédoine, le terroir de Larisse et celui d’Athènes ne peuvent jamais avoir fourni la quinzième partie des hommes dont les historiens font mention. Il est impossible que tous ces pays, cultivés avec tous les soins imaginables, aient été fort peuplés. Le terrain est presque partout pierreux, aride et sans rivière. On y voit des montagnes et des côtes pelées, plus anciennes assurément que les plus anciens écrivains. Le port