Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/151

Cette page n’a pas encore été corrigée

là contre ; le texte de Racine est plus fort que tout.

Cette plainte :

Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups ;

cet argument qui, sous prétexte d’éteindre l’amour du jeune chef, lui présente l’image de ce qu’il y a de plus propre à l’émouvoir :

Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ?
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés
Qu’à des pleurs éternels vous avez condamnés ?

cette façon qu’elle a d’évoquer toujours Hector devant Pyrrhus, de parler du rival mort à l’amoureux vivant ; et enfin, quand le péril de l’enfant Astyanax est proche et certain, ces mots audacieux sous leur air de réserve (ces mots qui, d’ailleurs, provoquent immédiatement, chez Pyrrhus, l’offre de sa main et de sa couronne) :

… Seigneur, voyez l’état où vous me réduisez.
J’ai vu mon père mort et nos murs embrasés,
J’ai vu trancher les jours de ma famille entière
Et mon époux sanglant traîné sur la poussière,
Son fils, seul avec moi, réservé pour les fers.
Mais que ne peut un fils ! Je respire, je sers.
J’ai fait plus : je me suis quelquefois consolée
Qu’ici plutôt qu’ailleurs le sort m’eût exilée ;
Qu’heureux dans son malheur, le fils de tant de rois
Puisqu’il devait servir, fût tombé sous vos lois.
J’ai cru que sa prison deviendrait son asile.
Jadis Priam soumis fut respecté d’Achille :
J’attendais de son fils encor plus de bonté.
Pardonne, cher Hector, à ma crédulité !

tous ces vers-là sont assurément faits pour mettre