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ont fini par le chérir. Tel Sainte-Beuve, qui le traite fort strictement dans ses premiers articles, mais généreusement et magnifiquement dans son Port-Royal. Tel encore notre Francisque Sarcey. À ses débuts, Sarcey ne voyait en Racine qu’un orateur harmonieux, assez peu « homme de théâtre » . À la fin, il le trouve aussi malin que d’Ennery.

Nous apportons aussi à aimer Racine un sentiment qui est une sorte de nationalisme littéraire. Après Corneille, Normand impressionné par les Romains et les Espagnols, très grand inventeur, mais artiste inégal, Racine, homme de l’Île-de-France, principalement ému par la beauté grecque, a vraiment « achevé » et porté à son point suprême de perfection la tragédie, cette étonnante forme d’art, et qui est bien de chez nous : car on la trouve peu chez les Anglais, pas du tout chez les Espagnols, tardivement chez les Italiens. Il a eu d’ailleurs la chance de venir au plus beau moment politique, quand la France était la nation à la fois la plus nombreuse et la plus puissante d’Europe, — et au meilleur moment littéraire, après les premiers essais, mais quand la matière de son art était encore presque intacte et qu’il y avait encore beaucoup de choses qu’il pouvait dire parfaitement pour la première fois. Racine est le « classique » par excellence, si cette expression de « classique » emporte ensemble l’idée de la perfection et celle d’une fusion intime du