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Soit. Qu’on le prenne comme on voudra, et plus tard, hélas, des brutes le prendront au mot, (et non pour le réfuter), cette différence entre la pensée et la parole, c’est du charlatanisme ; et il n’est presque pas possible de lui donner un autre nom. — Et c’est, en effet, le nom que lui donnait la partie la plus sensée de la société d’alors, et notamment le groupe de madame du Deffand et des Choiseul.

Mais il est clair que ce charlatanisme fut une des causes les plus déterminantes du succès de ce Discours sur l’inégalité. — En outre, ce Discours est un des ouvrages de Rousseau où il y a le plus d’âpreté et d’amertume et où vibre le plus l’accent révolutionnaire. Cela est beaucoup plus rare dans ses autres livres. D’où lui venait donc ce ton ?

Rousseau prend soin, dans les Confessions, de nous dire, à trois ou quatre reprises, que c’est telle aventure de son enfance ou de sa jeunesse qui a éveillé en lui, pour toute sa vie, la haine de l’injustice. Mais je crois bien que ce sont là des réflexions « après coup ». Les traits qu’il cite : la fessée injuste donnée par l’oncle Bernard, l’histoire du paysan qui, terrifié par le fisc, cache ses provisions, ses démêlés avec M. de Montaigu, ce n’est peut-être pas de quoi déterminer une vocation de révolutionnaire. Il y a bien ses ressouvenirs de laquais, et l’aigreur que lui donnaient ses infirmités… Mais ce qui paraît plus vrai, ou aussi vrai, c’est que cette âpreté lui a été