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une déchéance ; la vie sociale est une déchéance ; la notion du bien et du mal est une déchéance. Il nous accorde, il est vrai, que le meilleur moment de l’humanité, ç’a été le commencement de la vie en tribu et de la civilisation agricole et patriarcale ; mais, cette concession même, ce qu’il a dit auparavant lui retire le droit de la faire ; et son idéal c’est, qu’il le veuille ou non (ou bien il a menti auparavant), une humanité composée de sauvages épars dans les forêts, sans habits, sans armes, ni bons ni méchants, solitaires, immuables, et qui ne réfléchissent point. Comme si cela était intéressant, et comme si cela valait même la peine qu’il y eût une humanité sur la terre ! C’est cette stagnation dans une vie de demi-brutes qui serait contraire à la « nature » !

Et pourquoi, dit-il, la préférer ? Parce que, affirme-t-il, l’égalité est mieux sauvegardée dans cet état primitif. D’abord, il n’en sait rien : car l’inégalité des forces musculaires, en un temps où elle ne peut guère être compensée par l’intelligence, pourrait bien être la plus dure de toutes. Comme si, d’ailleurs, l’égalité, — et l’égalité dans l’ignorance et dans l’abrutissement, — était nécessairement le bien suprême, auquel tous les autres devraient être sacrifiés ! A vrai dire, ce culte est bien étrange dans un livre qui prétend découvrir et honorer les intentions de la « nature », laquelle apparaît si évidemment mère et maîtresse d’inégalité à tous les degrés de l’être.