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CORNEILLE ET LA POÉTIQUE D’ARISTOTE.

mœurs. On a remarqué que, dans Iphigénie, dans Esther, dans d’autres tragédies encore, il y avait deux ou trois mille ans, tout un abîme, entre les faits et gestes de tel personnage et son esprit, ses manières. ses discours… A mon sens, on en devrait tirer bravement cette conclusion que, parmi les sujets que nous ont légués les anciens, il y en a qui ne sont plus bons pour nous et qu’il faut leur laisser…

Quoi qu’il en soit, le poète peut, selon Corneille, modifier les moyens qui conduisent à l’événement final. Mais dans quelle mesure peut-il les modifier ?

Sur ce point, Aristote se montre fort libéral : « Le poète est obligé de dire, non ce qui est arrivé, mais ce qui aurait pu arriver, selon le vraisemblable et le nécessaire. »

Le « vraisemblable », cela s’entend. Quant au « nécessaire », qu’Aristote oublie de définir, il me semble que c’est simplement ce qui est vraisemblable au suprême degré : c’est ce qu’un personnage doit faire « nécessairement », étant donné son caractère, dans telle situation et dans telles circonstances.

Mais Corneille ne le prend pas ainsi. On dirait qu’il s’applique à obscurcir un texte qui n’est déjà pas trop clair.

Voici sa définition : « Je dis donc que le nécessaire, en ce qui regarde la poésie, n’est autre chose que le besoin du poète pour arriver à son but ou pour y faire arriver ses acteurs. »