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il entend sans doute un ouvrage où tout est subordonné à l’impression de beauté. Il ajoute, ce qui est neuf et vient à propos après les fades déluges de larmes et l’horrible sensibilité du dix-huitième siècle :

 Je dirai encore que mon but n’a pas été d’arracher beaucoup de
 larmes ; il me semble que c’est une dangereuse erreur, avancée,
 comme tant d’autres, par M. de Voltaire, que les bons ouvrages
 sont ceux qui font le plus pleurer. Il y a tel drame dont personne
 ne voudrait être l’auteur et qui déchire le cœur bien autrement
 que l’Énéide… Les vraies larmes sont celles que fait couler
 une belle poésie ; il faut qu’il s’y mêle autant d’admiration que
 de douleur.

Cela est excellent ; et cela s’applique si bien à toute l’œuvre de Chateaubriand lui-même, qui n’est guère touchante, mais qui est belle et surtout riche en prestiges.

Enfin, l’auteur n’a plus du tout confiance en Rousseau, et semble même lui avoir retiré sa sympathie : « Au reste, je ne suis point, comme M. Rousseau, un enthousiaste des sauvages » (il l’avait été) ; « et, quoique j’aie peut-être autant à me plaindre de la société que ce philosophe avait à s’en louer, je ne crois point que la pure nature soit la plus belle chose du monde. Je l’ai toujours trouvée fort laide partout où j’ai eu l’occasion de la voir… Avec ce mot de nature, on a tout perdu. » Ainsi Chateaubriand prépare habilement son rôle de défenseur du christianisme.

Sainte-