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afin de les décider aux concessions de terrains que les blancs leur demandent. Et alors, c’est la plus condamnable orgie du style dit « poétique » de ce dix-huitième siècle dont le jeune Chateaubriand est encore jusqu’aux moelles. L’auteur invoque la Muse, « fille de Mnémosyne à la longue mémoire, âme du trépied de Delphes et des colombes de Dodone », pour n’oublier aucun des capitaines et des bataillons qui vont défiler tout à l’heure. Et cela est à la fois un peu comique et assez amusant, parce que le jeune auteur a beaucoup plus d’imagination et d’invention verbale que les Delille en vers et que les Marmontel en prose.

Est-ce que ceci n’est pas ingénieux :

 Ils portent un tube enflammé, surmonté du glaive de Bayonne ;
 leur vêtement est celui du lys, symbole de l’honneur virginal de
 la France.

Mais est-ce que ceci n’est pas charmant :

 Ces guerriers couvrent leur front du chapeau gaulois, dont le
 triangle bizarre est orné d’une rose blanche qu’attacha souvent
 la main d’une vierge timide, et que surmonte de sa cime légère
 un gracieux faisceau de plumes.

Et ceci encore :

 L’armée entière s’ébranle ; ses pas égaux mesurent la marche
 que frappent les tambours. Les jambes noircies des soldats ouvrent
 et ferment une longue avenue, en se croisant comme les ciseaux
 d’une jeune fille