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prises ou saccagées, sans soldats, sans finances, hors un papier discrédité qui tombait de jour en jour, le découragement dans tous les états et la famine presque assurée : telle était la France, tel le tableau qu’elle présentait à l’instant même qu’on méditait de la livrer à une révolution générale. Il fallait remédier à cette complication de maux ; il fallait établir à la fois par un miracle la République de Lycurgue chez un vieux peuple nourri sous une monarchie, immense dans sa population et corrompu dans ses mœurs ; et sauver un grand pays sans armées, amolli dans la paix et expirant dans les convulsions politiques, de l’invasion de cinq cent mille hommes des meilleures troupes de l’Europe. Ces forcenés seuls pouvaient en imaginer les moyens et, ce qui est encore plus incroyable, parvenir en partie à les exécuter : moyens exécrables sans doute, mais, il faut l’avouer, d’une conception gigantesque.
Sans doute, trente ans plus tard, rééditant l’Essai et l’accompagnant de notes expiatoires, il écrivait au bas de la page que je viens de citer : « Je mets à tort sur le compte d’une poignée d’hommes sanguinaires ce qu’il faut attribuer à la nation. » Mais, vers la même époque, ayant à raconter la Révolution dans ses Mémoires, il en parle encore avec une horreur incurablement mêlée d’admiration.
Quoi d’étonnant ? En même temps que le jeune Chateaubriand composait son Essai, Joseph de Maistre rédigeait ses Considérations sur la France. Et ce grave Savoyard, de quinze ans plus âgé que Chateaubriand, et bien meilleur catholique, écrivait que, seule, la folie furieuse de « l’infernal Comité de