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du christianisme » ne nous a légué que des nuances nouvelles de mélancolie et de volupté, en somme, de quoi être un peu plus païens.

Louis Veuillot écrit rudement (Çà et là, II) :

 Chateaubriand a tenu et mérité une grande place, mais ce n’est
 pas mon homme. Ce n’est ni le chrétien, ni le gentilhomme, ni
 l’écrivain tels que je les aime ; c’est presque l’homme de lettres
 tel que je le hais. L’homme de pose, l’homme de phrase, toujours
 affairé de sa pose et de sa phrase, qui pose pour phraser, qui
 phrase pour poser, qu’on ne voit jamais sans pose, qui ne parle
 jamais sans phrase… Il est de ceux qui ne savent écarter aucune
 pensée capable de revêtir une belle couleur et de rendre un beau
 son.
 Atala est ridicule, René odieux ; le Génie du christianisme
 manque de foi ; les écrits politiques manquent de sincérité ; les
 Mémoires sont écrits pour faire admirer le personnage ; mais
 ce moi, toujours vain et parfois haïssable, jette une ombre
 fâcheuse sur la beauté littéraire, souvent éclatante…
 J’ai vu à Saint-Malo le tombeau de Chateaubriand sur un rocher
 qui apparaît de loin. L’emphase de ce tombeau peint l’homme et
 ses écrits et leur commune destinée. Chateaubriand a exploité
 sa mort comme un talent, il a pris dans son tombeau une dernière
 pose, il a fait de ce tombeau une dernière phrase ; une phrase qui
 se pût entendre au milieu de la mer ; une pose qui se pût voir
 encore dans la brume et dans la postérité. Mais ce calcul sera
 trompé. N’ayant toute sa vie songé qu’à lui-même et rien fait
 que pour lui-même, Chateaubriand a péri tout entier. Sa gloire,
 placée en viager, est venue s’éteindre dans cette mer, dont il
 a voulu suborner le murmure pour le transformer en applaudissement
 éternel.

Un