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une amie ; et, à partir de là, elle laisse faire le temps, elle lui abandonne sa beauté. (Mais je vous ai raconté ces choses il y a trois ans.)

La douceur et la bonté de Juliette deviennent angéliques. Elle est pieuse maintenant. Son confesseur, le Père Morcel, disait d’elle qu’elle était sainte à force de tendresse. Elle ne vit plus que pour son ami. Elle est la servante de son génie, et la servante aussi de ses caprices, de ses douleurs, de ses infirmités, de sa vieillesse.

Mais de vieillesse, il n’en est pas question encore. Il restait jeune à soixante ans : toutes ses dents, les cheveux obstinément noirs. Il aima très tard, aussi tard qu’il put. Sa situation d’idole chez madame Récamier ne l’empêchait point de prendre des distractions. Sainte-Beuve a une bien jolie page sur les journées d’arrière-automne de Chateaubriand :

 Tant qu’il put marcher et sortir la badine à la main, la fleur
 à sa boutonnière, il allait, il errait mystérieusement. Sa
 journée avait ses heures et ses stations marquées comme les
 signes où se pose le soleil. De une à deux heures, — de deux à
 trois heures, — à tel endroit, chez telle personne ;  — de trois à
 quatre, ailleurs ;  — puis arrivait l’heure de sa représentation
 officielle hors de chez lui ; on le rencontrait en lieu connu
 et comme dans son cadre avant le dîner. Puis le soir (n’allant
 jamais dans le monde), il rentrait au logis en puissance de madame
 de Chateaubriand, laquelle alors avait son tour, et qui le faisait
 dîner avec de vieux royalistes, avec des prédicateurs, des
 évêques et